La colère, la peur, et l'impression que "ça ne s'arrête jamais": à Paris, au lendemain de l'attentat samedi contre une synagogue du sud de la France, la communauté juive réclame justice et s'inquiète pour son avenir dans le pays.
"Je suis en colère", réagit, la voix presque éteinte, Laurent Guez, habitant du nord-est de Paris, "c'est de la haine, y'a pas de mot".
Le quinquagénaire peine à se remettre de l'attaque contre la synagogue de la station balnéaire de la Grande-Motte, devant laquelle deux voitures ont été incendiées samedi matin, provoquant une explosion.
Un suspect, qui portait un drapeau palestinien au moment des faits, a été interpellé.
"Les actes antisémites se suivent (...), La Grande-Motte, dans le métro, dans la rue... ça ne s'arrête jamais", dit-il.
Agent de sûreté à l'aéroport de Roissy, Laurent s'entend "avec tout le monde, toutes les religions". Il déplore: "Certains font trop d'amalgames" avec "ce qui se passe au Proche-Orient".
Joint par l'AFP dimanche, le président du Consistoire central israélite de France, Elie Korchia, fait le même constat: "On peut comprendre qu'il y ait une critique de la politique d'Israël, comme dans toute démocratie, mais ici ce sont des Juifs de France qui sont pris pour cibles".
"Cela nous rappelle les pires heures des années 80, au moment de l'attentat de la rue Copernic par exemple", poursuit-il, en référence à l'attentat à la bombe le 3 octobre 1980 contre une synagogue de l'ouest parisien qui avait fait quatre morts et des dizaines de blessés.
En France, où vit la première communauté juive d'Europe, les actes antisémites ont quasiment triplé depuis le début de l'année après avoir déjà flambé fin 2023 dans la foulée de l'attaque du Hamas en Israël le 7 octobre et le début de la guerre à Gaza.
"On a besoin d'être ensemble"
Charlie, 41 ans, explique avoir longtemps été "dans le déni de l'antisémitisme" notamment "par respect pour la souffrance des Gazaouis". Cette employée dans l'audiovisuel, qui donne un prénom d'emprunt, raconte avoir même passé sous silence "des croix gammées dans l'école de (ses) enfants".
Elle dit avoir intégré une "judéité discrète", demandant à ses enfants de "parler doucement dans la rue quand on évoque (sa) famille en Israël".
Mais la flambée des actes antisémites depuis le 7 octobre, et notamment le viol en juin d'une jeune fille juive de 12 ans en banlieue parisienne, a provoqué un déclic. Depuis, elle a décidé de ne plus se taire.
Charlie s'inquiète, comme beaucoup de personnes rencontrées par l'AFP, de la parole de certains politiques qui "attisent la haine des Juifs". Les critiques contre le parti La France insoumise (gauche radicale), accusée par ses adversaires d'alimenter l'antisémitisme, sont légion. La formation conteste ces allégations.
"On a très peur, on se demande si on part ou pas", témoigne Aliza, 19 ans, elle aussi sous un faux prénom. La jeune femme a été agressée dans le métro parisien après le 7 octobre: "On m'a dit +sale juive, tu crèves, Hitler n'a pas fini le travail+. J'étais paralysée, je n'ai même pas pu répondre".
La volonté de partir, le maire du XVIIe arrondissement de Paris, qui compte une importante communauté juive, entend beaucoup de familles l'exprimer. "Toute la communauté est inquiète, constate-t-il. Mais quand on attaque un Juif en France, c'est la France qu'on attaque".
Devant un supermarché cacher du nord de Paris, Eric, 57 ans, s'énerve: "On arrête des gens, et après la justice ne suit pas".
Dans l'Hérault, le département de la Grande-Motte, le même dégoût habite Patrice Bitton, qui se dit "un peu plus apaisé" après l'arrestation de l'auteur présumé de l'attentat, mais se demande "comment la justice va traiter ça".
"On est dans un contexte anxiogène qui nous amène à nous questionner sur notre vie quotidienne, dit-il. Ma fille est obligée de changer de nom quand elle commande sur les plateformes, à manger ou un trajet en voiture. Nous avons changé notre nom sur la boîte aux lettres. On est obligés de réorganiser notre vie. C'est dingue, on est en France".
À l'appel de plusieurs organisations comme Golem, SOS Racisme ou la Ligue des droits de l'Homme, une centaine de personnes se sont rassemblées dimanche soir devant la mairie du 19e arrondissement de Paris.
"On a besoin d'être ensemble, de se sentir solidaires dans ce climat d'angoisse", a déclaré Emmanuel Sanders, porte-parole de Juifs et Juives Révolutionnaires (JJR).
La Rédaction (avec AFP)